Sep 24, 2007

Ariane et Barbe-Bleue




Conte en 3 actes de Paul Dukas (création le 10 mai 1907, Opéra Comique, Paris)
Livret de Maurice Maeterlinck (disponible ici)


Nouvelle production de l'Opéra de Paris
Direction musicale: Sylvain Cambreling
Mise en scène: Anna Viebrock

Barbe-Bleue, Willard White
Ariane, Deborah Polaski
La nourrice, Julia Juon
Sélysette, Diana Axentii
Ygraine, Iwona Sobotka
Mélisande, Hélène Guilmette
Bellangère, Jaël Azzaretti

Orchestre et Choeurs de l'Opéra national de Paris
Extrait vidéo ici, fiche spectacle .

« Ariane, c’est la lumière de la vérité. Barbe-Bleue : c’est le monde. Les paysans : c’est l’humanité révoltée contre la souffrance du monde. Les femmes : c’est l’humanité engourdie dans les mystères qu’elle ne peut ou ne veut scruter, c’est le démon de l’habitude qui fait préférer les souffrances que nous connaissons aux joies que nous ne connaissons pas. »
Olivier Messaien (élève de Dukas)



Ariane, femme libre

Paul Dukas met l'accent sur le personnage de femme forte d'Ariane, qui au contraire des autres épouses de Barbe-Bleue, n'est ni soumise ni dépressive.
Amoureuse, elle souhaite émanciper ses compagnes (Sélysette, Ygraine, Mélisande, Bellangère...) de la tyrannie d'un être sauvage et barbare; comme elle tente aussi de libérer ce dernier de sa nature inhumaine.
Etre de compassion et d'amour, Ariane, sixième épouse du châtelain, ose l'impossible. Rompre la fatalité et la passivité aveugle d'une société inerte et condamnée. Or ce combat est trop brutal.
Sans soutien dans sa quête, sans double qui la libère de sa solitude, Ariane quitte ce monde asservi pour lequel elle ne peut rien.


Histoire de l'opéra à Paris:

Première au Palais Garnier en janvier 1935 avec Germaine Lubin (femme de Maeterlinck) dans le rôle d’Ariane.
Reprises en 1939, 1945 et 1952.
Dernière production en date : 1975 (Garnier), direction musicale Gary Bertini ; mise en scène et des décors de Jacques Dupont, avec Grace Bumbry dans le rôle d’Ariane.


Paul Dukas à son bureau, Image BNF



Echos de la presse sur ce début de saison de l'Opéra de Paris:

" Une fois encore, une première à l'Opéra de Paris s'est achevée sous les huées. Gérard Mortier a beau dire et beau faire, le public parisien déteste cette esthétique qui lui est chère et qui a cours dans les théâtres allemands, celle d'Anna Viebrock, par exemple, qui signe mise en scène, décors et costumes de cet « Ariane et Barbe-Bleue ».


Inutile de dire qu'elle n'a que faire du symbolisme dans lequel se noie le poème de Maurice Maeterlinck ; sa vision scénique ressemble fort à du recyclage de ses anciennes productions - on retrouve la ligne générale des bâtiments des « Noces de Figaro » ou de « Traviata » - et l'on est fatigué de ces robes tristounettes, de ces bureaux désaffectés et sinistres de la RDA des années 1950, qui brident l'imagination ou prêtent à rire, selon l'humeur, et gênent d'autant plus ici qu'on a souvent l'impression que leur disposition entrave les mouvements des comédiens.

Seule pourrait être intéressante l'utilisation de la profondeur de champ, dont les effets sont relayés par la vidéo agissant comme un miroir grossissant et accentuant l'aspect carcéral des lieux ; mais elle tourne court, faute d'une vraie mise en scène. "

Michel Parouty, Les Echos, 17 septembre 2007.


Ruth Walz, Opéra de Paris


" Par quoi commencer cette trilogie du regret ? Les voix : disons que, même bien secondée par sa nourrice, la mezzo suisse Julia Juon, Deborah Polaski n'est pas une Ariane très heureuse. Le vibrato est ample, l'intonation basse et la prosodie peu compréhensible dès que le rôle se tend dans l'aigu.
[...]
Passons à l'orchestre. Sur le beau livret de Maeterlinck, Dukas a écrit une musique colorée, sensuelle, expressive, "descriptive" au bon sens du terme (l'ouverture des portes et le jaillissement des bijoux, améthystes, saphirs, perles, émeraudes, rubis, diamants). Sylvain Cambreling doit-il pour autant la diriger avec une telle trivialité pour, au final, nous livrer une partition sèche et filandreuse ?
[...]
Ariane et sa nourrice sont habillées genre Miss Marple, imper, chapeau cloche, sac à main et appareil photo. Tout porte à penser qu'elles vont finir par éclaircir le mystère non de la chambre jaune, mais de la barbe bleue. Mais non, ni leurs airs de légistes inspectant les lieux, ni leurs mouchoirs sur le nez à la recherche d'un hypothétique cadavre ne résoudront l'énigme, malgré la vidéo qui projette la scène vue du dessus comme à travers un oeilleton glauque. Beau moment, celui où les cinq femmes font le mur entraînées par l'intrépide Ariane.

Las, le troisième acte, qui voit le gynécée s'endimancher pour la fuite finale, ressemble à un immense air des bijoux démultiplié chanté par une Ariane en train de faire des plans d'évasion. Alors là, oui, on regrette Marthaler. Il aurait forcément trouvé à ce moment-là un détail qui tue du genre "objet inanimé avez-vous donc une âme ?". Mais, là, on s'ennuie ferme. "

Marie-Aude Roux, Le Monde, 14 septembre 2007.



Ruth Walz, Opéra de Paris


" Avec Madame Viebrock on reste au ras du papier peint, tout est terne et réel, avec parfois une pointe de ridicule qu’elle ne semble pas percevoir : cette Ariane qui sort son trousseau de clefs de son sac comme si elle rentrait chez elle, fait vraiment concierge. Cette nourrice qui fauche le trésor de Barbe-Bleue crée un hiatus terrible alors que la musique de Dukas et le texte de Maeterlinck s’acheminent vers l’idée du renoncement.

Ah, justement l’œuvre. Viebrock l’a-t-elle bien regardée ? Ariane, en plus d’un chef d’œuvre que Paris ne voit que tout les vingt-cinq ans, est un conte philosophique, assis sur un fort fond « freudique ». Pas du tout une critique sociale. Dès lors pourquoi la raccorder au monde du travail – bureau, usine – alors qu’elle ne parle que d’une liberté inutile. Où est la métaphore : nous préférerions travailler plutôt que de tenter l’aventure ? Et Barbe-bleue bien entendu serait chef d’équipe.
AU SECOURS !

Dans toute cette fable détournée sans autre effet qu’un placide massacre Deborah Polaski passe de sa grande taille hautaine sans ciller, indifférente, au mieux occupée à faire sa valise – imagine-t-on Ariane avec une valise, mon Dieu ! – un rien gourde lorsqu’elle libère Barbe-Bleue.

Inutile de souligner qu’elle ne possède pas la tierce aiguë meurtrière exigée par Dukas que seules Balguerie et Lubin eurent vraiment, en plus d’un style qui doit plutôt au récit gluckiste qu’aux éthers debussystes, quoi qu’on en dise. Souvent fausse, d’une prononciation relâchée, son Ariane sans feu est déjà oubliée. "

Jean-Charles Hoffelé, Concertclassic, 13 septembre 2007.



" Pour qu’une œuvre du passé prenne du sens au présent, faut-il à tout prix lui faire subir des liftings de chirurgie politico-sociale ? Pour qu’une mise en scène nouvelle s’impose et convainque, doit-elle, à n’importe quel prix, miser sur l’épate ? Parfois au détriment du sens ? Souvent au détriment de la musique ?

Une suite de tableaux lugubres soulignés par des images vidéo

Anna Viebrock [...] exécute sans doute efficacement ses visions, ses options mais n’a ni son souffle ni son talent de directeur d’acteurs. Le résultat se résume en une suite de tableaux lugubres, soulignés côté cour, et en direct, par des images vidéos en noir et blanc qui font ressembler les détails filmés à la soute d’un navire de fret.

C’est triste et laid, en contradiction permanente avec la luxuriance des harmonies musicales de Dukas. "

Caroline Alexander, Webthea, 20 septembre 2007.



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