Mar 6, 2007

La Juive, côté théâtre


[2e billet suite à la représentation de la Juive du 3 mars]

Je me dois de parler avec emphase aujourd’hui du trio mise en scène/lumières/décors, qui contrebalance, au moins partiellement, la performance vocale catastrophique de ce samedi.

Mise en scène : Pierre Audi
Décors : George Tsypin
Lumières : Jean Kalman


En parcourant le web, ainsi qu’en écoutant les avis autour de moi, force est de constater que ce trio scinde les spectateurs inexorablement.



Rachel (AC Antonacci) et Eléazar (N. Shicoff)
Photo (c) Ruth Walz, Opéra de Paris



Dans le camp des détracteurs, j’ai lu et/ou entendu que décors et costumes sont trop contemporains, que la mise en scène d’Audi est trop statique et trop spartiate, que les lumières sont too much (notamment sur la scène finale).


Ces déçus, dont la moyenne d’âge doit se situer aux alentours des 60 ans, espéraient peut être trouver sur la scène de Bastille le faste de la mise en scène de 1835 lors de la création de La Juive, où le défilé qui clôt l’acte I comportait sonneurs de trompe, arbalétriers, échevins, archers de l’empereur, hommes d’armes avec armures en acier, hallebardiers, avec moult armes et bannières chatoyantes, chevaux sur scène, costumes magnificents, concourant à faire de cette mise en scène une « orgie de décors, de costumes, de chevaux et d’empereurs »* ?


S’ils avaient cette attente, je comprends que la réalité les ait terrassés.


Répétitions de la Juive
© Jacky Ley / Fedephoto pour Le Monde
Acte I, arrestation d'Eléazar




Pour ma part, les quelques indices que j’avais glané de ci, de là, avant la représentation me laissaient à penser que j’apprécierait ce trio. Je n’avais pas tort.


L’atmosphère industrielle dans laquelle Audi a plongé cette Juive, qui peut paraître saugrenue de prime abord, trouve en fait tout son sens dès les premières minutes de l’opéra, puisque la musique d’Halévy use de bruits d’enclumes pour caractériser le travail d’Eléazar dès la fin du Te Deum de l’ouverture, avec « En ce jour de fête publique
Quel est donc ce logis où l'on travaille encor? … ».




Répétitions de la Juive
© Jacky Ley / Fedephoto pour Le Monde
Arrivée de l'empereur (fin de l'acte I)



Cette immense structure métallique, sur plusieurs niveaux, permet également de matérialiser les antinomies entre les personnages, ou simplement la séparation physique entre eux (comme dans la scène de l’acte II où Léopold, caché, écoute le dialogue entre Eudoxie, venue lui acheter un bijou somptueux, et Eléazar).


Répétitions de la Juive
© Jacky Ley / Fedephoto pour Le Monde
Acte IV, duo entre Rachel (AC Antonacci) et le Cardinal de Brogni (R. Lloyd)



L’affaissement du sol et le décalage d’un niveau vers le bas de cette même structure métallique à l’acte IV m’a semblé particulièrement bienvenu, pour signifier l’enlisement des situations et les affres des personnages principaux (Rachel et Eudoxie au début d'acte, puis Rachel et Brogni, enfin Brogni et Eléazar).



Répétitions de la Juive
© Jacky Ley / Fedephoto pour Le Monde
Acte IV, duo entre Rachel (AC Antonacci) et le Cardinal de Brogni (R. Lloyd)




Les tuyaux verticaux suspendus, présents dès le début de l’acte I, et qui semblaient posés là, aléatoirement, un peu à la va-vite, produisent leur effet à l’acte III, lors de la scène de l’anathème clôturant l’acte, puisque, la structure métallique ayant disparu, on découvre alors qu’ils ne sont qu’une version stylisée d’une cathédrale ; les installer, en « superposition » de la structure métallique à l’acte I se révèle alors judicieux, faisant écho à la musique d’Halévy, et notamment au « Te Deum » et au chœur « Hosanna, plaisir, ivresse, gloire, gloire à l'Éternel » (scène décrite dans le livret comme devant se dérouler dans l’église).


Répétitions de la Juive
© Jacky Ley / Fedephoto pour Le Monde
Acte III, scène de l'anathème




Le dénuement absolu de la scène à l’acte V (avec chœur totalement vêtu de noir rabattu sur les côtés de la scène et grands rideaux noirs tendus en fond de scène ainsi que sur les deux côtés) renforce le dramatique de l’exécution de Rachel et Eléazar, et l’éclairage progressif mais intégral du sol en rouge lors de la scène finale, donne au bûcher de Rachel et Eléazar une dimension émotionnelle qui m’a beaucoup touchée.
L’effet n’aurait pas été le même avec un mini bûcher central, contrairement aux reproches que j’ai lus sur internet.



Scène finale
Photo (c) Ruth Walz, Opéra de Paris



Globalement donc, ce trio mise en scène/décors/lumières se complète à merveille dans une représentation contemporaine, accessible et subtile de l’opéra d’Halévy.



Costumes : Dagmar Niefind
Chorégraphie : Amir Hosseinpour



Je serai en revanche plus critique sur les costumes et la chorégraphie.

Si les premiers frôlent parfois le ridicule (costumes du chœur au 1er acte, de Léopold au début de l’acte III lors de ses retrouvailles avec Eudoxie, de l’empereur lors du déflé clôturant l’acte I –la peinture dorée sur le visage aussi était-elle vraiment nécessaire ?- , costumes des danseurs) , ou le manque d’idée évident (costume de Rachel et d’Eléazar, quasi identique à celui que Shicoff portait lors des représentations du MET en 2003), la chorégraphie elle, par contre, était franchement ridicule.


Répétitions de la Juive
© Jacky Ley / Fedephoto pour Le Monde



Je me suis revue la semaine d’avant, en Avignon, avec les intermèdes dansés lors des Pêcheurs de Perles.
Sauf qu’ici, amis parisiens, j’étais dans une grande salle internationale.
J’avouerais que je n’ai absolument pas fait la différence.
Ridicule.


* Infos tirées du programme de la Juive (p61)



Chronique d'un autre spectateur du 3 mars; c'est .


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