Opéra de Lyon, dans le cadre du Festival d'Opéras en un acte.
Soirée du 5 mai 2007.
La voix humaine
Tragédie lyrique en un acte de Francis Poulenc,
Texte de Jean Cocteau (1959).
Direction musicale : Juraj Valcuha
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
La femme : Felicity Lott
Le chateau de Barbe-Bleue
A Kékszakallù herceg vava
Opéra en un acte de Béla Bartok,
Livret de Béla Balazs (1918).
Direction musicale : Juraj Valcuha
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Barbe-Bleue : Peter Fried
Judith : Hedwig Fassbender
Photos, extrait vidéo sur le site de l'Opéra, livret ici.
Préambule
Je n'avais jamais assisté à un opéra de Poulenc ou de Bartok.
Mais, d'après les extraits entendus de ci, de là, je savais que je n'étais sensible ni à l'une, ni à l'autre de ces musiques.
Depuis hier soir, je sais désormais qu'elles m'ennuient profondément.
Faute en est à la pauvreté de la ligne mélodique (carrément absente chez Poulenc) et à cette volonté de n'utiliser les instruments que de façon saccadée et courte.
Qui plus est chez Bartok, cette volonté de combler le vide mélodique par une pléthore d'instruments divers et variés qui n'apportent rien à la partition, parce qu'utilisés sporadiquement et sans réelle cohérence; orgue, xylophone, célesta, deux harpes... est particulièrement agaçante.
La Voix Humaine
Felicity Lott était l'attraction de cette soirée, dans cette pièce courte de Poulenc, seul personnage sur scène, en permanence sollicité.
Las.
La voix, vieillie et fatiguée, était submergée dès que l'orchestre jouait en même temps, les aigus plus aussi cristallins, les graves inaudibles.
Restent la diction parfaite de Felicity Lott et son implication scénique pour rattraper un peu l'ensemble.
La mise en scène de cet opéra est chose ardue, puisque l'action est inexistante et que le seul personnage dialogue avec un téléphone. Que Joseph, Monsieur Mon Chéri ou le vide soient au bout du fil ne change rien au dépouillement de l'action.
Dès lors, insuffler un peu de vie scénique relève de l'exploit, si tant est que le metteur en scène veuille garder l'esprit du livret.
Laurent Pelly a choisi de placer l'action dans un appartement lyonnais et, plutôt que de faire déplacer Felicity Lott dans diverses pièces, il a choisi de bouger les meubles, littéralement, avec des mouvements incessants de décor.
C'est intéressant au début, vite rébarbatif ensuite.
Qui plus est, le découpage des décors fait que l'élément sur scène est noyé dans l'immensité désertique de la scène. J'y ai senti une atmosphère claustrophobique qui n'est pour le compte par vraiment en accord avec le livret.
Essai non concluant à mon sens.
Le Chateau de Barbe Bleue
Les interprêtes, Peter Fried et Hedwig Fassbender, eux aussi ont peiné vocalement, en terme de puissance sonore notamment.
Les décors et les choix de mise en scène de Pelly par contre, sont admirables.
Le Chateau est traité comme le personnage central de l'oeuvre, plutôt que comme un décor figé.
De fait, ces murs suintants d'eau et de sang, comme le dit le livret, sont constamment en mouvement, créant une ambiance organique qui s'accorde merveilleusement avec la hauteur de ses murs, écrasant les personnages, remplissant tout l'espace.
L'absence de tout autre élément sur scène renforce cette impression.
Le choix des matériaux pour les murs, molletonnés, capitonnés, participe d'une cohérence louable, les portes qui s'ouvrent sur des pièces dont le contenu, invisible, est traduit par des seuls effets lumineux (rouge sang pour la salle d'armes et de torture; jaune scintillant pour la salle du trésor; vert avec des impressions de feuilles pour les jardins; vagues bleues en mouvement pour la salle du lac).
L'ensemble est vraiment hypnotique et malsainement envoûtant.
Conclusion
Il est vraiment heureux que cette soirée puisse s'enorgueillir de cette très belle deuxième mise en scène de Pelly.
Elle aurait été ratée sans.
Critiques complémentaires
Extrait de l'article de Renaud Machart paru dans Le Monde du 23 avril:
" Déception, ici aussi, tant pour la musique que pour la mise en scène, confiée au duo Laurent Pelly et Agathe Mélinand. Les deux comparses, fameux pour leurs relectures très remaniées des opéras d'Offenbach en particulier, ont une manière assez efficace de trouver des solutions scéniques qui ne pèsent certainement pas par leur profondeur.
Pour Le Château de Barbe-bleue, chanté de très honnête façon par Hedwig Fassbender et Peter Fried, ils ont conçu des tours de passe-passe giratoires pour hautes murailles capitonnées et fait descendre des loupiotes signalétiques au fur et à mesure que les sept portes s'ouvrent.
HARMONIES DOUCES-AMÈRES
Une simple exécution en concert n'aurait pas enlevé de sa force au drame. Mais celui-ci en était dépourvu en raison d'une direction assez apathique de la part du chef slovaque Juraj Valcuha. Le Château de Barbe-bleue et ses harmonies douces-amères devraient glacer, saisir. On s'est ennuyé comme rarement au cours de cette exécution par un orchestre au son anémié, aux cordes sans substance, aux attaques et à l'intonation rarement nettes.
Dans La Voix humaine, le chef, par peur de couvrir la chanteuse britannique Felicity Lott, l'accompagne timidement, retenant constamment le son, alors que Poulenc indique que "l'oeuvre entière doit baigner dans la plus grande sensualité orchestrale".
La faute en revient à Laurent Pelly : sa scénographie, où une cheminée, un lit, un fauteuil, un dressing jouent à cache-cache et à "un petit tour et puis s'en vont", laisse le vaste plateau à découvert, sans élément réfléchissant qui permette à la voix de Felicity Lott de se projeter.
Celle qui est une interprète d'ordinaire bouleversante de La Voix humaine en perdait, elle aussi, de sa substance, entraînée dans cet agaçant ratage, chic et toc. "
Extrait de l'article de Christian Merlin paru dans Le Figaro du 23 avril:
" Grand moment, enfin, avec le couplage de La Voix humaine, de Poulenc, et du Château de Barbe-Bleue, de Bartok. Laurent Pelly y fait naître deux univers grâce aux décors parlants de Chantal Thomas : quelques instantanés d'un appartement bourgeois lyonnais pour le premier, un château vivant pour le second, dont les murs bougent et respirent comme une matière organique avant de se refermer sur Judith.
Faire du château le personnage principal de cette action intérieure si difficile à traduire visuellement : voilà une idée simple mais géniale ! Autant le chef Eivind Gullberg Jensen avait montré quelques signes d'inexpérience lyrique dans la soirée Bizet-Puccini, autant le tout aussi jeune Juraj Valcuha passe de Poulenc à Bartok comme si cela allait de soi, avec à la fois le sens du style et du son, l'instinct du drame et le respect des voix.
Tour de force aussi pour l'orchestre, car si trois chefs et quatre metteurs en scène ont été convoqués, les instrumentistes jouent sans se relayer, avec un niveau technique et une endurance qui ne fléchissent pas.
Avec leurs voix rugueuses, Peter Fried et Hedwig Fassbender évitent le piège esthétisant qui rendait trop belle la dernière production parisienne. Mais ce que l'on emportera à jamais dans ses souvenirs, c'est Felicity Lott dans La Voix humaine. Car une telle leçon de diction, de chant et de théâtre, cela fait partie des moments dont on est fier, plus tard, de dire : « J'y étais. » "
A lire aussi, la critique de ForumOpera.
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