Mar 5, 2007

Amis parisiens,


[1er billet consacré à la représentation à l’Opéra Bastille de La Juive, d’Halévy, le 3 mars]


Je n’aurai pas de mots assez durs pour vilipender votre pédanterie quant à l’art lyrique, et votre fatuité concernant votre si grande et si prestigieuse maison d’Opéra.*

Je ne saurai retranscrire à sa juste valeur le mépris que m’inspire votre outrecuidance et votre dénigrement pour tous les opéras « de campagne » que compte la France.


Quand on pète plus haut que son cul, amis parisiens, la moindre des choses est d’offrir à Bastille des représentations dignes de ses exigences prétentieuses.


Force est de constater que, vocalement parlant, la prestation de ce samedi a été une énorme farce (Annick Massis exceptée et Anna Caterina Antonnacci, dans une moindre mesure).




Commençons par le moins mauvais.


Les chœurs de l’Opéra de Paris.

Je ne sais si la faute en impute aux chanteurs en eux-même (j’ai la naïveté de penser que non) ou au chef des chœurs, Peter Burian et son adjoint, Alessandro Di Stefano, mais pouvoir s’enorgueillir d’un chœur d’une centaine de chanteurs et ne pas être capable de leur inculquer la notion de nuance me semble du gaspillage de forces vives.

Je suis sans doute mauvaise juge, étant habituée au chœur de l’Opéra de Lyon dirigé par l’excellentissime Alan Woodbridge, chœur ayant la réputation, parmi les spécialistes, d’être le meilleur de France (pardonnez-nous, pauvres provinciaux, de posséder des éléments de qualité).

Aussi je ne m’attarderai pas sur le sujet.




Puisque ce billet ne concerne que les prestations vocales entendues ce samedi, je poursuivrai donc directement avec les solistes.


André Heyboer, dans le rôle de Ruggiero, prévôt de la ville, a manqué de projection, alors que le rôle d’Albert, interprété par Vincent Pavesi, était trop restreint pour que je m’en fasse une opinion.



Colin Lee, dans le rôle de Léopold, a manqué d’assurance (et de projection de voix) dans les aigus, mais la partie médium de sa partition a été correctement menée (de même que son jeu scénique).
Disons que c’est un chanteur en devenir, pas encore abouti, mais sur le bon chemin.
Dans une si grande maison d’opéra comme la vôtre, amis parisiens, je conçois qu’on lui accorde généreusement de partager le rôle avec John Osborn (puisqu’il joue la moitié des représentations de cette Juive). Après tout, il faut laisser leur chance aux nouveaux talents lyriques.



Robert Lloyd, qui joue toutes les représentations dans le rôle du cardinal de Brogni (sauf trois) est par contre un gros foutage de gueule.

Jeu scénique abominable (pourquoi camper des émotions réalistes quand on peut en faire des tonnes, et n’importe comment), projection de voix inexistante, incapacité à tenir une note sans user de vibratos dès la première seconde, sa prestation a été calamiteuse.

Je m’étonne de votre manque de discernement à ce sujet, amis parisiens.

Où donc est votre exigence d’excellence ?

(de ce point de vue, et pour anticiper sur Merritt, le duo de l’acte IV entre Brogni et Eléazar, pourtant un moment dramatique intense dans la partition, c’est transformé en jeu de carnage particulièrement insupportable).






Chris Merritt enfin.

Ah, Chris Merritt.
(lire à ce sujet le billet de Kozlika, qui a assisté à la même représentation que moi, se gardant bien de me prévenir de cette coïncidence).


Je ne ferai pas preuve de la magnanimité légendaire de Kozlika, amis parisiens.
Que nenni.


Qu’importe le passé glorieux de Merritt.
Qu’importent ses problèmes de santé (non résolus depuis la générale).
Qu’importe son jeu scénique (bon au demeurant).
Qu’importe le rendu de son Eléazar (scéniquement beaucoup plus proche de l’esprit du livret que celui de Neil Schicoff).


Dire que sa prestation vocale a été calamiteuse est très largement édulcoré.
Le pathétique a été atteint bien avant le fameux air clôturant l’acte IV, "Rachel, quand du Seigneur".


L’insupportable a des limites.
Chris Merritt les a pulvérisées
.



Alors, amis parisiens, si vous n’êtes pas foutus de reconnaître que lorsqu’un certain stade de nullité vocale est dépassé, mieux faut "inviter" Merritt à rester chez lui avec une tisane, et laisser sa chance à un ténor de l’Atelier Lyrique, même s’il ne connaît pas le rôle et qu’il fait ses débuts sur scène, alors, amis parisiens, "je vous maudis".


Et c’est peu de le dire.


C'est Adolphe Nourrit, le ténor qui créa le rôle d'Eléazar en 1835 et refondit l'air "Rachel, quand du Seigneur" qui doit se retourner dans sa tombe...




Lorsque la prestation globale des chanteurs masculins est aussi mauvaise, qui plus est ; il s’agirait de faire preuve d’un peu de décence et d’humilité.
Et de se terrer à vingt mille lieues sous les mers.



Pour finir sur Merritt, je n’ai plus qu’une remarque à signaler.


Je ne hue pas à l’opéra pour des questions de personnalité qui me sont propres, mais ce n'est pas l'envie qui m'en a manquée.
La marque des Grands est de savoir s'arrêter à temps.
Chose que je ne pardonne pas à Merritt.






Amis parisiens, honte à vous.












* référence à un forum bien connu et au staff de l'ONP

Extrait du programme de La Juive (p37);
"Sa reprise tardive à l'Opéra de Paris après une absence de soixante-dix ans, représente l'apothéose légitime de son retour".



3 comments:

Anonymous said...

Bonjour à tous,

Quelques commentaires d'un autre provincial, passionné de Grand Opéra à la Française, qui montait à Paris pour entendre une légende du genre dans la ville même de sa création.

Tout d'abord, pour ne pas priver tous les futurs spectateurs d'une source relle de plaisir, il serait bon de dire tout ce qui était bien lors de cette représentation : orchestre en pleine forme, trés nuancé (ah, ces piani des cors anglais sur "Rachel quand du Seigneur"...), mise en scène à mon goût trés équilibrée, ni grandiloquente ni façon relecture pour metteur en scène névrosé, Antonacci et Massis à 100% dans leur rôle, Colin Lee vrai talent en devenir avec ce timbre d'une grande pureté que me fait un peu songer (toutes proportions gardées) à un Juan Diego Florez...et puis le plus important : la musique d'Halevy, belle, prenante. On ne voir pas passer les 4h10 du spectacle ; si je n'ai qu'une chose à dire à cet intello de Mortier qui dans son interview dans "Opéra Magazine" semblait parler de cette oeuvre en se pinçant le nez, c'est qu'Halevy au moins apporte du bonheur à ses auditeurs, contrairement à nombre de compositeurs contemporains prétendument "dans le coup" et qui ont surtout le mérite de faire marcher le commerce des anxiolitiques.

Mr Mortier justement, c'est à lui que je songe le plus dans les quelques gros râtés de cette soirée du 3 mars. On est parfaitement d'accord : Merritt a eu une grande carrière, a beaucoup servi les rôles les plus difficiles du Grand Opéra et du Bel canto romantique, mais quand les moyens se dérobent, on doit avoir le professionnalisme de ne pas tenter le diable. En l'occurence, cf toujours l'interview de Mortier dans "Opéra Magazine", c'est Merrit qui a demandé à Mortier de chanter deux représentations, ce que ce dernier a accepté. Honte à tous les deux ! Quand on pense que la France dispose actuellement avec Alagna du plus grand Eleazar depuis Cesar Vezzani, comment a-t-on pu laisser passer une bourde pareille à la direction artistique de l'Opéra de Paris ? Quand à Merrit lors de cette soirée, se faisant annoncer souffrant en plus de son virato définitivement inécoutable, de ses attaques de notes non pas en cuillères mais carrément en louches, et ses conceptions particulières des voyelles françaises, il aurait eu toutes les excuses pour au moins octavier les aigus les plus exposés : le public le lui aurait beaucoup plus facilement pardonné.

Pour le rôle de Brogni, si en tant que basse moi-même je reconnais toute la difficulté à distribuer une tessiture pareille, je reste persuadé qu'il y a néanmoins en ce monde (et notamment dans les pays nordiques) suffisamment de basses profondes de qualité pour se passer de ce chanteur aux aigus usés jusqu'à la corde : c'est la première fois de ma vie que j'entends quelqu'un dont le Do aigu est moins puissant que le contre-mi grave ! Je ne serai pas là pour entendre Furlanetto dans quelques jours, mais si je me réfère à son intégrale studio chez Philips qui avait battu tous les records de l'horreur en matière diction française calamiteuse et de voix engorgée, j'espère que les chefs de chant de Bastille vont le coacher de manière rigoureuse.

Mais je le rèpète à l'attention des spectateurs : ne boudez pas votre plaisir et sachez passer au delà de ces deux inconvénients majeurs pour vous laisser prendre par la puissance de cette oeuvre, taillée pour l'immense vaisseau de la Bastille.

Extatic said...

Merci de ce commentaire éclairé, ami inconnu.

Quant à Furlanetto, dont je connais la prestation en Cardinal de Brogni puisque je possède un enregistrement live de la version donnée au MET en 2003 (avec Shicoff et Furlanetto, mais j'ai prévu d'en reparler), je ne peux que regretter d'avoir voulu à tout prix entendre Merritt plutôt que Schicoff.

Parce qu'alors, j'aurais au moins eu le soulagement d'entendre Furlanetto au lieu de Lloyd.

Et complètement d'accord avec le commentaire précédent; Mortier et Merritt sont aussi responsables l'un que l'autre.

Amis parisiens, honte à vous.

Anonymous said...
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