1er billet d’une série sur les Pêcheurs de Perles, opéra en trois actes de Georges Bizet (1863), livret de Carré & Cormon.
Il est de bon ton, parmi les amateurs d’opéra, de reconnaître aux Pêcheurs un des livrets les plus ineptes que l’opéra français ait jamais produit, mais des qualités musicales indéniables.
Je ne prétends pas que, noyée sous une overdose d’orientalisme façon
Second Empire, se déroule là la trame
la plus dramatique de l’opéra, mais les sentiments exaltés par Carré & Cormon me touchent.
L’histoire d’une amitié brisée par une trahison amoureuse, d’un sens de l’honneur allant jusqu’à donner sa propre vie pour ne pas faillir à sa parole.
Ce sens de l’honneur, si présent dans la société d’alors, et tellement fourvoyé aujourd’hui qu’il en paraît incongru, est un de mes grands idéaux nostalgiques, et m’est, à ce titre, essentiel.
Zurga, personnage au demeurant manipulateur, puisqu’il convainc le peuple de le proclamer roi (cette dualité le rend intéressant dès les premières minutes de l’opéra), se voit ensuite acculé au plus cruel des dilemmes (pour qui y est sensible) : se sacrifier pour sauver son meilleur ami et la femme qui l’a un jour sauvé et qu’il aime, alors que tous deux viennent de le trahir, ou les laisser périr, condamnés par un peuple tout entier, mené par son Grand Prêtre.
Quel que soit le funeste sort qui attend Zurga après le dernier accord, les Pêcheurs invitent, en outre, à réfléchir à la notion de pardon.
Face à Nadir, égoïste parfait, qui ne pense qu’à convoler avec sa belle, quelles qu’en soient les conséquences avec Zurga, le Grand Prêtre ou n’importe qui d’autre, qui se montre qui plus est d’une ingratitude parfaite à l’annonce du sacrifice de Zurga, le pardon prend des allures de sacrifice christique.
Etre athée ne m’empêche pas d’être subjuguée une telle générosité, un tel don de soi-même. Pas besoin de diviniser un Zurga plutôt qu’un autre pour être en admiration devant un tel geste.
Mais enfin, je subodore que Zurga, bien que simple pêcheur de perles de son état, a un vocabulaire bien plus drôle qu’un fils de charpentier.
Eh bien, prends part à nos jeux !
Ami, bois avec nous danse et chante, avec eux.
Avant que la pêche commence,
Saluons le soleil, l’air et la mer immense !
Une femme inconnue et belle autant que sage,
Que les plus vieux de nous selon le vieil usage,
Loin d'ici, chaque année, ont soin d'aller chercher.
Un long voile à nos yeux dérobe son visage;
Et nul ne doit la voir, nul ne doit l'approcher!
Mais pendant nos travaux, debout sur ce rocher,
Elle prie, et son chant qui plane sur nos têtes,
Ecarte les esprits méchants et nous protège!
Elle approche, ami, fête avec nous son arrivée!
Moi seul j’appelle en vain le calme et le sommeil.
Et mon âme oppressée n’a plus qu’une pensée…
Nadir, Nadir doit expirer, au lever du soleil
[Il tombe accablé sur les coussins*]
(…)
Non, non, ce n'est pas le jour, regardez, c'est le feu!
Le feu du ciel tombé sur nous des mains de Dieu!
La flamme envahit et dévore
Votre camp! Courez tous! il est temps encore,
Pour arracher vos enfants au trépas,
Courez, courez, que Dieu guide vos pas!
Je m’en vais sans plainte,
Les sauvant tous les deux, courir au trépas.
* didascalie originale du livret
Lectures complémentaires:
Le colonialisme français et son expansion sous le Second Empire et à la fin du XIXe siècle; le Canal de Suez, percé par la compagnie de Ferdinand de Lesseps entre 1859 et 1869.
Enfin une page passionnante (en anglais) sur l'orientalisme à Paris dans les années 1860.
A noter qu'en 1863, année de création des Pêcheurs de Perles, la France s'empare de la Cochinchine, du Cambodge et de la Nouvelle-Calédonie.
Le livret complet des Pêcheurs de Perles est disponible là.
Lien vers le 2e billet de cette série: la partition.